Cours, James, cours !

 


Mais qu'est-ce que je fais là ? Habillée ultra sexy avec mon legging et mon t-shirt fluo rose qui me moule le gras, entourée de filles gaulées comme des avions de chasse et de mecs qui ne doivent se nourrir que de graines et de poulet, j'attends le départ... Je me revois, quelques mois en arrière dire à mon petit frère : "Quinze kilomètres et six cent cinquante mètres de dénivelé dans Lyon ? Allez, chiche, on fait le Lyon Urban Trail !" 

Et évidemment, pour être bien sûre d'être motivée comme il faut, j'en ai parlé autour de moi. Comme ça, impossible de faire marche arrière. Et c'est marrant comme les questions qu'on te pose sont toujours les mêmes :
"Ah, mais tu cours, toi ?" (Là, tu sens que t'as clairement plus le physique d'une coureuse de barathon que de marathon)

"Mais tu t'entraînes ?" (Ah bah non, je vais m'y pointer comme ça et on va voir comment ça se passe)

"Mais t'es enceinte ?" (C'est marrant comme quand t'arrêtes de boire, on ne te croit pas quand tu dis que tu prépares un défi sportif)

Et ma préférée : "Et c'est quoi ton objectif ?
- Ben euh... Finir, je serai contente, j'ai jamais fait un truc aussi long."

Non mais... "C'est quoi ton objectif ?" Vous êtes sérieux, les gens ? Vous tombez des nues quand je vous apprends que je cours deux à trois fois par semaine depuis deux ans et, direct, il faut que je vous annonce que je vais faire un temps canon sur quinze kilomètres ? Non mais, soyons sérieux deux secondes : si j'arrive debout, je serai déjà super contente !

Bon, la vérité, c'est que oui, bien sûr, j'avais un objectif : la "bière du finisher" ! Et l'idée, c'est que cette course, je la faisais avec mon petit frère. Lui, affûté comme pas deux : pas entraîné depuis quatre mois et à la bière tous les deux jours. Il devait partir trois vagues après moi (donc quinze minutes) et arriver à me dépasser en me claquant les fesses avant l'arrivée. Mon seul objectif, c'était évidemment qu'il me dépasse le plus tard possible. Genre jamais, quoi. Ou, au pire, dans les quatre derniers kilomètres.

Mais qu'est-ce que je fais là ? Je pense à tout ça alors que les premiers coureurs s'élancent. Je suis dans la troisième vague de départ. J'apprendrai après la course que mon frère, ce fourbe, est finalement parti dans la quatrième...

C'est parti ! Je cours en petites foulées, histoire de, parce que quand même, c'est le départ, alors que je sais très bien que, dès la première montée vers Fourvière qui arrive deux cents mètres après le départ, comme dans toutes celles du parcours, je vais devoir marcher si je veux finir. 

Même pas le temps de faire semblant. Aux deux tiers de la montée, je suis à bout de souffle. Tout le monde trottine ou marche bien trop vite pour moi. Je regarde derrière moi : je suis la dernière de ma vague de départ, avec une obèse et un handicapé. Et loin loin loiiiin derrière, mon estime de moi. Je crois qu'elle n'a même pas passé la ligne de départ. Pas sûr que je la retrouve...

Mais qu'est-ce que je fais là ? J'ai à nouveau quatorze ans, je suis la petite grosse de la classe que personne ne veut dans son équipe en sport parce qu'elle va nous faire perdre. Je rumine mais j'avance tout ce que je peux : un handicapé et une obèse ?! Quatre mois d'entraînement pour ça ?! Au moment où je retrouve l'énergie d'avancer un peu plus vite, j'entends un bruit de fond : toute la vague suivante nous dépasse. Je suis en larmes. Je vais faire demi-tour. C'est n'importe quoi ! J'aurais jamais dû accepter ce défi à la noix, j'ai pas le niveau, je suis ridicule !

Si je n'avance pas plus, je vais me faire claquer le cul beaucoup trop tôt sur le parcours ! Je rumine, je me maudis, je me déteste. Et l'autre handicapé qui me dépasse, là, alors qu'il est freiné par son pied qui racle le sol à chaque foulée ! Non mais il plaisante ? J'accélère. Je le double. Enfin ! Je suis invincible (Bon, je ne le sais pas encore, mais c'est le seul que je doublerai...) !

Allez hop, j'arrive en haut de la première montée, je crache mon foie et mes poumons et je continue. Je continue... Je continue... Mais qu'est-ce que je fais là ?

Je passe la moitié de la course. On court dans un tunnel, noir total. Ça monte sec ! Ah, là, ça court moins autour de moi : ça fait moins les malins ! L'ambiance est bizarre, tout le monde plongé dans le noir... Et là, au bout, la lumière ! Je la vois. Elle m'appelle, elle me guide, je vais vers elle... En marchant, d'accord, mais quand même. Mais punaise ! Elle est loin, cette lumière non ? Et là... Je sens une main contre ma fesse. Je hurle toute ma colère et ma frustration de m'être fait rattraper par mon frère. "Euh, s'cuse, j'ai pas fait exprès." Heureusement qu'il fait noir, parce que la fille qui vient de me frôler n'a pas pu voir ma tête déconfite, puis tellement contente, quand je me suis aperçue que ce n'était pas mon frère. Il ne m'a toujours pas rattrapée !
Je continue vers la lumière. Je sors du tunnel. Je monte des escaliers. J'en descends. J'en remonte. J'en redescends. Mais y'a combien d'escaliers dans cette ville, c'est pas possible ?! C'est quoi, le but ? Finir avec les genoux qui plient dans l'autre sens ?...

Mais ça y est ! J'y suis ! Je passe la ligne d'arrivée en petites foulées, à bout de forces, mais heureuse... Accueillie par mon petit frère, qui m'attend avec la "bière du finisher" à la main : "Bravo ! Tu l'as fait !" Je suis tellement contente d'avoir fini, mais je suis tellement dégoûtée de le voir, frais, dispo, reposé. Il m'attend depuis quarante minutes ! 

Ce qui s'est passé ? Il m'a dépassée dans la première montée, directement au début de la course. Mais il ne m'a jamais vue ! Et heureusement, parce que je crois que je l'aurais fait, mon demi-tour. Résultat : il a passé toute la course a essayé de me rattraper alors que j'ai passé toute la mienne à faire en sorte que ça n'arrive jamais ! Mais quelle famille de blonds !

Trop fatiguée pour être dépitée, j'ai préféré en rigoler. J'ai eu ma bière et tout est bien qui finit bien, même si je déteste mon frère. Et bon, je ferai mieux l'an prochain : j'arriverai peut-être à marcher la semaine qui suit la course...


Commentaires

  1. Ahahahaha !!!! Encore bravo pour cet exploit ! Tu l'as fait, et jusqu'au bout ! Donc t'es solide ! Et pour moi... t'es encore devant
    Ton estime, elle, vient de passer la ligne à ce qu'on me dit !

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  2. Et puis bon, un trail d'une heure et demi la semaine suivante a la recherche des clés, ça prouve un bonne condition,non ?!

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  3. Ça prouve surtout qu'on est vraiment une famille de blonds ! Et que la vodka du finisher, ça marche aussi bien que la bière !

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  4. Oui, bon....l'essentiel c'est de répondre à une envie, à la mystique du temps qui passe et à la question lancinante "est ce que je suis encore bon à qq chose ?". Quand on est vicelard comme moi on sait déjà la réponse, avant. Et le défi est une escroquerie, qu'on fait pour assurer la mise...Tout le monde ne peut pas "oser" sans savoir à l'avance !
    Pour le reste je ne sais pas. En fait je ne sais rien. Sinon que suer pour taper une binouze ensuite est un masochisme normal résolu par les vrais alcooliques : ils foncent jusqu'au but sans intermédiaire suant !
    Mais quelle leçon en tirer ? Aucune, à chacun son chemin (et donc ses ampoules, si on n'est pas pêchu).
    Ah bien sûr j'aurais des suggestions : rendre l'effort utile par exemple en pédalant pour recharger ma voiture électro-nucléaire bonne pour la planète et l'industrie coréenne (et les cargos immatriculés au Libéria). Ou bien encore en déchargeant des barges de transport fluvial ou des camions.
    Mais voilà : si on veut sauver les cargaisons et être stylé, faut oublier ça. Donc en avant la cavalcade à vide.
    De toute façon c'est le barman et son sourire narquois qui guettent, tout au bout de la route. Enfin juste avant son beau frère croque mort et le spécialiste du foie qui le précède d'un "bout de bite" (belle expression sportive à l'ancienne).

    De profundis

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